TEMOIGNAGES


Témoignage de Hubert BLONDEAU
 Né le 20-03-1936 NOZEROY

Mes grands-parents :
 

Lucien Ferréol BLONDEAU  1863-1923
Né à Les Chalesmes, décédé à Le Frasnois
                                                                            Mariés en 1890
Marie Honorine BLONDEAU TOINY 1866-1935
Née à Les Chalesmes, décédée à Le Frasnois

         Ils se sont installés au Frasnois, venant de Foncine-Le-Haut où mon père (Joseph) est né en 1903. Mon grand-père Lucien, cantonnier, possédait aussi une petite ferme au bord du lac d’Ilay, à la sortie du village, toujours propriété du fils de Roger Blondeau, le dernier des neufs enfants de la famille (1913-2003)
L’un des fils, Vital, est mort au Frasnois en 1920, des suites d’une blessure de guerre.
Trois enfants sont restés au village :
-          Léon, résidant à Narlay
-          Marcelle épouse Jacquot, résidant au cœur du village
-          Roger, résidant dans la demeure familiale.

         Ma grand-mère exploitait seule la ferme, depuis le décès de son mari en 1923, avec l’aide de mon père revenu à la ferme à l’issue de son service militaire où il avait acquis le grade de sergent.
Après quelques années, il s’est échappé de la vie laborieuse de « petit paysan », pour entrer dans la Gendarmerie en 1928. Après un bref passage dans la Gendarmerie mobile, il a fait sa carrière dans le Jura, occupant plusieurs brigades au gré des mutations et des promotions :
         A Arbois, où il épousa ma mère, Genevière ROCH (1913-2014),
         à Nozeroy où je suis né en 1936,
         à Lons-Le-Saunier au début de la guerre,
         puis Saint-Claude jusqu’en 1944,
         puis un passage au FFI avant la libération
         et de nouveau à Lons Le Saunier pour quelques mois.

         Il a commandé ensuite les brigades de Moirans, Morez pour terminer sa carrière à Montbéliard en 1957, Adjudant-Chef, Commandant de Brigade.
Il a pris sa retraite en 1957 à Besançon où il a occupé, pendant dix ans, les fonctions de Directeur d’un Centre d’Assistance par le travail, depuis sa création à Chalezeule.
Il est décédé en 1983 (1903-1983)

         Très attaché à sa famille, il faisait tous les ans, le tour de la fratrie, en voiture ou à moto. Le point central au Frasnois était chez sa sœur Marcelle Jacquot, plus âgée de dix ans, et qui avait dû le porter souvent dans ses bras durant sa petite enfance, comme cela se faisait en ces temps, dans les familles nombreuses.
         De là viennent mes souvenirs du village, imprécis mais présents par anecdotes ou images. Personne n’est plus là pour  les confirmer.
                                                                                                                                                                                                                                    
         En 1944, la résistance était très présente à Saint-Claude et la répression allemande très violente. Un jour, tous les hommes furent rassemblés sur la place de la ville et trois cents d’entre eux furent déportés. La moitié à peine en revint,je crois. Je me souviens du retour d’un gendarme déporté, décharné, les yeux exorbités,marchant avec une canne, comme tous les déportés survivants, tels que les médias nous les ont présentés.

         Pour me mettre à l’abri de ces dangers, mes parents m’avaient envoyé chez ma tante Marcelle et son mari, au cœur du village du Frasnois, près de l’église et de l’école. Ce n’était peut-être pas une excellente idée concernant le danger, car le pays fut aussi le théâtre d’actes de guerre. De là proviennent mes souvenirs de la vie rurale en temps de guerre. J’avais exactement huit ans. J’y suis resté peut-être deux ou trois mois jusqu’à l’arrivée de la première armée française libre du Général de Lattre de Tassigny.
                           
         On parlait peu de la guerre et de la résistance devant moi, mais plutôt des foins et des moissons, dont je me souviens du caractère archaïque. Le foin était récolté à la fourche et même parfois dans des ballots sur les terres en pente,comme sur les bords du lac de Narlay et les céréales fauchées à la main avec une faux munie d’un arceau en noisetier (coudre) pour coucher les épis. Je me souviens aussi de l’énormité des taons attaquant les bœufs que l’on enduisait de goudron et que les enfants dont je faisais partie, protégeaient avec des branchages, non sans se faire piquer eux aussi, devant le char où l’on chargeait le foin séché ou les gerbes de céréales.

         La ferme très centrale avait dû servir de café du village comme le laissait penser l'installation de la grande salle. Il y avait même des jeux. Mais ce devait être avant guerre. Je n'ai jamais vu le moindre client. La salle de vie était la cuisine donnant directement sur la rue, avec au fond le petit poële noir, bas, ou migeotait la pàtée des bêtes donnant une odeur de légumes, pas désagréable, à la maison.

         Pour en revenir à la guerre, durant quelques jours ou semaines, la famille hébergeait « un étranger » que l’on disait (ou plutôt que l’on ne devait pas dire), qu’il était du maquis et aussi que ma cousine Madeleine était « agent de liaison » Cela a été confirmé après la guerre par l’attribution de la Croix de Guerre avec étoile de bronze et par un emploi temporaire dans  l’Armée, à Lons Le Saunier.

         Un jour, peu avant la libération, alors que je gardais les vaches dans les communaux, j’ai vu passer, très bas, un petit avion de combat, trainant un panache de
fumée noire. Quelques jours plus tard, dans la soirée, tous les hommes ont quitté le village pour se cacher dans la forêt. Il y avait eu des exécutions de civils dans le pays. Je restais seul à la ferme, avec ma tante, me demandant ce que je faisais là, alors que tous les « hommes » étaient partis.

         J’ai trouvé une fois, enfouie sous les buissons dans les « communaux », une caisse en bois contenant les « richesses » cachées d’une famille : de simples draps ou couverts mis à l’abri des pillages allemands. Je l’avais vu faire par ma tante, mais simplement au fond du jardin.

         Le danger était bien là. Dans la nuit du 4 août, nous avons vu les flammes du village d’Ilay en feu, barrer l’horizon. Au matin, les allemands étaient partis, épargnant le Frasnois. Tous les habitants sortis de leur cachette se rendaient à pied ou à bicyclette au village, pour voir les dégâts. On disait qu’un habitant était allé sauver ce qu’il pouvait dans les ruines fumantes de sa maison, avec sa charrette attelée de deux bœufs et qu’il avait récupéré un trésor de pièces d’or qu’il montrait à l’envi, au fond d’une cocotte en fonte. Si les pièces noircies étaient en or, je n’en ai jamais vues autant de ma vie jusqu’à maintenant, malgré ma relative « bonne fortune » professionnelle.

         Quelques jours plus tard, nouveau branle-bas le combat, mais joyeux cette fois-ci. Les troupes de la libération arrivaient par la route nationale, à Pont de la Chaux. Ce fut un défilé continu de toutes sortes de véhicules militaires que nous allions applaudir, au moins deux jours de suite, avec mes cousines Marie-Claude et Noëlle Blondeau, ainsi que Raymonde Jacquot.Tante Suzanne, de Narlay nous avait tricoté au crochet, de petites cocardes tricolores que nous arborions avec fierté.  La semaine suivante, mon père, libéré du maquis de l’Ain qu’il avait rejoint avec sa brigade de gendarmerie de Saint-Claude, est venu me chercher à moto pour me conduire chez mes grands-parents maternels à Arbois, où était la famille.

         Là, j’ai vu passer ces colonnes interminables de véhicules et soldats, pendant des jours. Je me souviens d’un soldat africain, assis à l’arrière d’un camion, m’ayant envoyé un biscuit qu’il s’apprêtait à manger. Je n’ai pas de souvenirs d’avoir manqué de nourriture durant ces années de guerre. Les jardins personnels et les tournées de gendarmerie dans les fermes permettaient à mon père de ramener dans sa « boite de Pandore », des légumes, des fruits, des œufs, subvenant ainsi aux besoins de la famille.

         Quelques images de la vie du village du Frasnois me sont restées en mémoire.
La petite école à classe unique dirigée par une institutrice. Nous étions peut-être une quinzaine d'élèves, dans une classe ensoleillée. J’y ai attrapé des poux, au grand dam de mes parents, à mon retour à Arbois. C’était un mal moins répandu que maintenant malgré les conditions économiques et d’hygiène plus précaires qu’actuellement.

         Le dimanche, le village allait à la messe et je me souviens précisément que les jours de beau temps, après l’office, tous les jeunes se retrouvaient à midi au bord du lac d’Ilay pour une baignade préprandiale. On soulevait les pierres plates posées sur le sable blanc pour voir les écrevisses se sauver.Je me souviens aussi de la fête Dieu. La cérémonie avait lieu devant le monument aux morts où les jeunes enfants, garçons d’un côté, filles de l’autre, portaient une corbeille d’osier remplie de pétales de roses et de pivoines qu’ils jetaient en l’air. sous la bénédiction du prêtre.

         Trois ans plus tard, j’intégrais l’Ecole Militaire Préparatoire d’Aix en Provence où j’ai eu le privilège de voir en personne, deux généraux, futurs maréchaux de France. Le Général Leclerc d’abord, mort en Algérie en 1947 dans un accident d’avion. Son corps rapatrié en métropole a fait escale à Aix, dans mon école, et j’ai eu l’honneur de le
veiller une partie de la nuit . 
Le Général de Lattre de Tassigny est venu dans cette même école l’année suivante et il a remis à cette occasion, à mon camarade Raymond Vial, la médaille militaire à titre posthume, de son père mort à la guerre.

         Ce sont mes souvenirs parcellaires mais très présents, de ces années de guerre dans le Haut-Jura. Ils sont anecdotiques mais très authentiques. Il y a de moins en moins de témoins vivants de cette époque ; toute ma parentèle du moment étant décédée, personne ne peut maintenant plus confirmer ces souvenirs d’un enfant de huit ans.
                                                                                     Janvier 2020

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Henri LAMY


Henri LAMY, l’aîné, né aux Rousses le 25 décembre 1880 était lunetier, touché par une vocation tardive, il était entré au séminaire de Montciel à Lons. Il allait être ordonné prêtre à la déclaration de la guerre. Soldat au 23è R.I. sa correspondance est abondante et très intéressante.

Dans une longue lettre du 28 décembre 1914 ,Henri nous explique que son régiment n’avait pas eu droit à une messe de minuit car on redoutait une contre-attaque allemande. Chacun avait du rester à son poste dans les tranchées. Sauf le séminariste autorisé à assister à l’office dans un petit pays. L’évocation de la nuit de Noël au front rejoint d’autres récits déjà publiés

« Dans la tranchée en avant de nous des soldats ont chanté le minuit chrétien et les Allemands ont répondu par des chants en leur langue. Pendant la journée de Noël il ne s’est presque pas tiré de coup de fusil. Il y a même eu des endroits où les 2 partis ont, pour ainsi dire, fraternisé. Les 2 tranchées se trouvent à 80 m l’une de l’autre. Les soldats ont chanté et causé ensemble car il y a des Allemands qui savent le français tout comme les alsaciens de notre régiment parlent l’allemand.

Chacun sur sa tranchée, sans tirer, a chanté, a applaudi l’autre. Ceci de 5 à 7 H du soir…. ». Désabusé Henri termine ainsi : «  Mais Noël ne durera pas toujours et un jour ceux que Noël réunissait se tireront dessus. Que voulez-vous c’est la guerre ».

Dans sa lettre du 29 décembre 14, Henri évoque les envois de colis et la situation du séminaire de Lons qui se vide. Il n’est pas exigeant : « Nous avons tout ce qu’il faut ! Mais envoyez la saucisse tout de même, en la faisant cuire avant. Ceci quand vous tuerez le cochon. Pour les chaussettes je n’en aurai pas besoin avant le milieu de février. Quant au chocolat on le trouve maintenant à 22 ou 24 sous la demi livre… ». S’il y a de la neige au Frasnois, là où est Henri, à 820 m d’altitude, c’est à peine blanc. Il y en a plus sur la grande chaîne des Vosges.

Le 10 janvier 1915, Henri annonce qu’on va leur donner la nouvelle tenue, capote et képi, de couleur bleu clair, « ce sera plus chaud que les autres qui roulent depuis 5 mois surtout avec cela nous serons moins visibles de loin ».

Le 27 janvier 1915 Henri participe à l’attaque. Le sous-lieutenant BERY écrit à Philippe, frère d’Henri, « il a été blessé grièvement et malgré les soins empressés qu’il a reçu aussitôt, il n’a pas pu survivre à sa blessure. Sa conduite a fait l’admiration de tous et sa mort a été vengée dans les assauts qui suivirent.

Il repose non loin de l’endroit où il a trouvé glorieusement la mort avec d’autres de nos regrettés camarades ». Un camarade écrira que Henri, d’abord blessé d’une balle, sera fauché 10 mètres après par une mitrailleuse. En avril 1915 le lieutenant-colonel SOHIER, commandant le 23è R.I. confirme la mort d’Henri au champ d’honneur à la Fontenelle à 10 Km au nord de St Dié. Il ne peut faire parvenir les objets personnels d’Henri, son corps étant resté à proximité des tranchées allemandes et ayant dû être enterré par eux.

C’est bien ce qui a du se passer d’après les correspondances de 1919. L’ancien curé de Senones a envoyé à Madame LAMY une photo de tombes creusées par le frère Henri un bénédiction Allemand. Le curé écrit que la tombe est impossible à retrouver. « Toute cette colline de la Fontenelle et du Ban de Sapt pendant les 4 années de guerre n’a cessé d’être dévastée par les bombardements ». Il a visité ce chaos affreux. « On n’y voit plus de tombes » ; Le curé, le 26 octobre 19, déconseille « le long et pénible voyage dans cette région dévastée et à cette saison déjà si froide dans nos Vosges ».
Bien entendu après la guerre, Henri a été décoré. Le « soldat brave et dévoué » est cité à l’ordre de son régiment par le maréchal PETAIN, commandant en chef des armées de l’Est. Et le 22 septembre 1919 c’est la médaille militaire.


Aujourd’hui le cimetière de la Fontenelle est une nécropole nationale où 1382 soldats Français reposent. Au cours de la bataille de septembre 1914 à juillet 1915, 2244 soldats Français ont été tués. Henri était des leurs. Et sa famille, encore en 1999, n’en a trouvé aucune trace sur place.